mardi 10 avril 2007

Un sprint vers la vie

La gynécologue soutenait que la manoeuvre - une version céphalique externe - avait entre 40 et 60% des chances de réussir. Même si ce n'est pas dans le sens où elle l'entendait, j'ai comme l'impression que cette manoeuvre fut un succès...

Jeudi matin: on se rend à l'hôpital, un gros 20 minutes en retard, un brin insouciants (comme en témoigne le fait que je ne me suis endormi qu'à 2h30, après avoir lu et révisé la méthode Bonapace...). Le but: r'virer notre crevette bout' pour bout', comme qu'on dit, elle qui a décidé de se retourner et de se mettre la tête en haut à 2 semaines de son arrivée prévue. L'équipe médicale met du gel sur la bédaine de ma blonde, et les gynécologues se mettent à tâter notre crevette, poussant ses fesses et sa tête dans le sens des aiguilles d'une montre, forçant et grognant un peu - puis elles l'échappent. Elles recommencent, déterminée, souriantes - et l'échappent encore. Elles sont déçues, disent "si on l'avait essayé à 36 semaines, on l'aurait facilement eu..." (Eh, ho, à 36 semaines, vous ne nous auriez pas vu la face ici, rapport que sa tête était du bon côté... non mais...) Puis elles proposent la si "non-naturelle" épidurale... Houuuuu! Elles expliquent que ce n'est que pour détendre les muscles du ventre et de l'utérus, qu'il n'y a aucun impact sur le bébé, que ça ne peut provoquer l'accouchement... On se questionne beaucoup, moi et ma Wi, puis après un bon trois quarts d'heure, on décide de plonger, se disant qu'on aura vraiment tout essayé... Piqûre, engourdissement, retour des médecines, nouvel essai...

Où est le coeur? Là... à 60 pulsations minute... Masque à gaz dans le visage de Wi - "inquiétez-vous pas madame" - inquiétude dans la voix du personnel - changement de civière - petits corridors vers le bloc opératoire - "Attendez ici monsieur" "Enfilez ces vêtements stériles, quelqu'un va venir vous chercher" - Puis j'attends, tout seul, sans savoir si le petit coeur de ma crevette a repris son beat, si ma Wi a besoin de moi pour tenir sa main (en fait c'est moi qui aurait besoin de tenir sa main!)... Je pleure sans arrêt, quelque part entre la peur et l'espoir et le vertige devant l'inconnu... toute l'émotion que j'ai refusé d'imaginer à l'avance parce que c'était pas le temps parce que j'aime pas m'en faire pour rien parce que j'ai aucune idée de comment ce sera quant le Grand Moment arrivera, toute cette émotion j'ai maintenant le droit de la vivre, de la laisser prendre le contrôle et me traverser de bord en bord.

Puis une infirmière vient me chercher, on me fait entrer dans la salle d'opération - tout est étonnamment calme - je dois passer par un circuit étrange longeant les murs pour ne pas que j'infecte cet univers de blip et de scalpels et de lumières stériles, alors que j'aurais le goût de voler jusqu'à ma Wi pour la serrer dans mes bras, comme je croyais que je le ferais pendant son accouchement. Elle est sereine, presque paisible, mon amoureuse, alors que moi je remplis mon p'tit masque de larmes (et de morve, faut bien le dire). Elle est là, couchée et attachée, pendant que de son ventre ouvert on siphonne quelque liquide, et dit "Me semble que ça tire?!", et l'anesthésiste de répondre, sur un ton badin "ouin, c'est tout ce qu'ils font, eux autres, tirer..." Puis je vois de petites jambes, et des médecins masqués tirer sur ces petites jambes, puis j'entends crier un bébé, mes larmes coulent tellement que je dois être sur le point de me déshydrater, on me demande "ça va? Le popa a pas peur du sang?", mais non, le popa a pas peur du sang, seulement un peu de l'infini de l'amour qui le transperce de bord en bord - il se sent comme s'il n'y avait plus de quotidien, de malheur, de douleur, que de la vie qui germe et une grande chaleur qui monte en lui comme une vapeur incontrôlable qui envahit tous les recoins et déloge toute trace de cynisme et de désespoir.

Après qu'on l'ait nettoyé, on me fait mettre des gants puis on me demande de lui "trimer" le cordon ombilical. C'est tellement étrange que je demande si je peux le toucher sans les gants, l'infirmier me répond que oui, j'enlève vite vite mes gants et caresse ce petit bonhomme, en lui promettant amour et protection... Puis on l'emmaillote et je peux enfin le prendre dans mes bras, tout naturellement et sans crainte, comme si nos corps s'étaient reconnus. Tout de suite je l'apporte à Wi, qui peut l'embrasser pour la première fois, et qui me répète comme elle l'a fait un peu plus tôt "C'est Bori, je sais pas pourquoi mais c'est tout ce qui me vient en tête: Bori". D'accord. Bonjour, petit Bori.

Après l'avoir monté à la pouponnière et pris possession de notre chambre, je retourne me planter la face dans la fenêtre de la pouponnière, je ne veux pas le laisser seul à ses premières minutes d'autonomie respiratoire et physiologique. On me laisse entrer après que j'aie enfilé la jaquette jaune d'usage, et on me désigne un poupon tout petit sur une table chauffée. Et je reste là à le caresser du bout des doigts en pleurant doucement, en m'abandonnant à ces vagues de sentiments successives et variées. Mon fils est né et est en bonne santé. Mon fils est né. Mon fils.

Ce fut l'heure la plus remplie de toute ma vie.


Prochaine étape: réunir Wi et Bori. Faudra attendre sa sortie de la salle de réveil (elle qui n'a jamais été endormie). Quand enfin elle le tient contre elle, peau contre peau, j'ai le sentiment pour la première fois que nous formons un famille. La tension qui me gardait alerte, prêt à mordre ou à courir pour du secours tombe, et je me calme. Je reste quand même dans une sorte de flou intemporel, hors des horeurs de notre monde étrange pour un si petit garçon comme le nôtre, sur un nuage dont je ne voudrais jamais descendre.

Photo de la version prise sur le site du ">Centre Hospitalier Universitaire Vaudois Lausanne

2 commentaires:

M a dit...

Magnifique récit qui m'a fait verser une larme de bonheur. Vous formez une magnifique famille!

M

a dit...

Merci! Recevoir ce commentaire de ta part ma permit de relire ce récit et du même coup verser une larme à mon tour.

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