vendredi 4 avril 2008

Le jour C


Ça fait un an que je veux écrire sur la naissance de B.
Ça fait un an que je ne sais pas trop comment le faire.
Ça fait un an que je repousse ce moment à plus tard.
Mais ça fait surtout un an que j'ai plus envie de penser à ce moment, que je préfère jouir de la présence du p'tit bonhomme parmi nous.

Toute ma grossesse s'est bien passée, pas d'anicroche, pas de diabète de grossesse, peu de vergetures, pas d'ankylosements, peu de maux de coeur, pas de trop grosse prise de poids, bébé se porte à merveille, je pète le feu! On se prépare tranquillement à vivre la naissance de notre crevette (car si on se souvient bien à l'époque ce bébé n'était toujours ni fille ni garçons). On lit des livres, on en discute, on étudie, je m'étire le périnée, je mange des quatre groupes alimentaires à chaque repas, etc.

La grossesse c'est génial, mais j'ai une peur bleue de l'accouchement, peur de la douleur, peur que ça tourne mal, peur de l'inconnu et de l'incontrôlable. Plus je lis, pire c'est. Je découvre que l'épidurale, même si elle soulage maman de façon quasi magique, est loin d'être bonne pour la santé de bébé. Exit donc la possibilité d'avoir recours à cette douce drogue. Je fais alors beaucoup de visualisation, j'essaye de m'imaginer les contractions comme étant de fortes vagues qui me font dériver. Je réfléchis beaucoup à la notion de douleur, aux accouchements à travers les âges et de par le monde, et je me dis que si mes grands-mères ont pu le faire neuf fois (chacune), j'y arriverai moi aussi. Je suis finalement plus sereine, mais j'ai toujours la chienne, face à ce grand moment de ma vie.

J'ai aussi lu que lorsque bébé naît, il est bon de le mettre sur le ventre de maman aussitôt, et qu'ainsi il rampera jusqu'au sein pour prendre sa première tétée. Cette image, à elle seule, me faisait rêver à ma rencontre avec mon enfant: je trouvais qu'il y avait quelque chose de magique dans le fait qu'un si petit être cherchait par lui même à se nourrir. C'était aussi un peu animal comme image, mais tout à fait attendrissant.

Plus on en parlait, Péha et moi, plus on voulait un accouchement le plus naturel possible. Certes je devais accoucher à l'hôpital avec un médecin, car en Abitibi il n'y a ni sage femme, ni maison de naissance, mais je m'accommodais bien avec cela. On peut tout de même pas tout avoir: la paix des grands espaces ET les commodités des grandes villes! La salle d'accouchement étant munie d'un bain tourbillon, je me voyais soulager mes douleurs dans un bon bain d'eau chaude. J'avais consulté les médecins afin de voir si je devais accoucher absolument sur le dos, tous était d'accord pour laisser naître mon enfant dans la position qui serait la plus confortable pour moi. Je vivais bien avec tout ça et commençais tranquillement à me faire à l'idée.

Puis est venu mon rendez-vous de 38 semaines.
" Bonne pression.
(...)
Bonne hauteur utérine.
(...)
Vous êtes ouverte à un, ce sera pas pour aujourd'hui!
(...)
Le coeur bat bien.
(...)
Et... oh!... je pense que la tête est en haut!!!"

Ça se pouvait pas, ma crevette avait toujours nagé vers le bas, toutes ses 38 premières semaines d'incubation. Mais... il était vrai que je m'étais réveillée la nuit même en sentant une secousse sismique dans mon ventre qui est venue frapper ma parois utérine, tel un cyclone sous-marin. Je ne voulais pas le croire, mais je savais que mon bébé s'était retourné, mais pas dans la bonne direction. J'ai donc eu droit à une deuxième échographie (oui, juste la deuxième... comme tout allait bien, je n'avais pas besoin d'en avoir d'autres!) pour nous assurer que Mme la docteure ne se trompait pas. Malheureusement, elle se trompe rarement! Ma crevette était là, sur l'écran, carpée, les fesses en bas... Péha me tenait la main et moi je ne savais plus quoi penser. La gynécologue nous a présenté les options:

Choix numéro 1- On fait rien et on attends pour voir ce qui se passe, mais s'il ne se retourne pas y'a des grosses chances que ça se termine en césarienne. À cet hôpital, il n'y a que 50% des gynécologues qui pratiquent des accouchement en siège (paraîtrait que 50%, c'est un très bon pourcentage).

Choix numéro 2- On planifie tout de suite une césarienne.

Choix numéro 3- On pratique une manoeuvre de retournement du foetus (la version céphalique externe). Si le tout fonctionne comme il se doit, il sera possible d'accoucher de façon naturelle, sinon on pourra toujours essayer l'accouchement par le siège, et enfin, en dernier recours, la césarienne.

Par la suite,  la gynéco nous a renvoyé chez nous avec de la documentation (en anglais!?!?) sur la version céphalique pour réfléchir à tout ça. J'ai pleuré longuement, mon beau plan s'écroulait, je m'inquiétais aussi pour ma crevette et je lui en voulais un peu. J'ai beaucoup cherché sur le sujet dans Internet... mais il n'y avait rien, ou du moins rien de compréhensible. J'en ai aussi beaucoup parlé: avec mon homme, avec mon médecin et avec une amie à qui on avait offert la même manoeuvre et qui, elle, avait choisi d'emblée la césarienne. J'ai même rappelé la salle d'accouchement pour poser d'autres questions. Mon rêve d'accoucher naturellement s'émiettait et mes inquiétudes augmentaient (et ma Crevette dans tout ça, comment elle allait?)

Finalement, j'ai décidé qu'il fallait que je fasse tout en mon pouvoir (Yoga et lavage de plancher à genoux inclus) pour le bien de cet enfant. Que je devais tout faire pour qu'il puisse naître le mieux possible et pour que tout ça se fasse de façon harmonieuse et, bien sûr, naturelle. J'ai donc opté pour la troisième option que m'avait proposé la gynécologue. Et j'ai repris rendez-vous avec elle pour la version céphalique, le 5 avril 2007 à 8h00.

C'était un jeudi, le jeudi juste avant la congé de Pâques.  Notre valise était prête, comme on 
nous l'avait suggéré, car la version céphalique provoque parfois des contractions, et puis j'étais si près de ma date prévue d'accouchement, soit à précisément 5 jours... Péha avait passé une partie de la nuit à étudier comment faire "dévier" les douleurs de l'accouchement avec la Méthode Bonapace, il avait aussi lu plusieurs chapitres d'Une naissance heureuse, disons qu'il avait finalement fait ses devoirs à la dernière minute. Ma mère était venue mouler ma belle bedaine dans le plâtre la veille... juste au cas où. On était finalement prêts! On s'est donc rendu à l'hôpital, à jeun depuis minuit... tous les deux. J'avais peu dormi mais j'étais sereine, je croyais faire ce qu'il y avait de mieux... après tout Isabelle Brabant en parlait sans son livre, de la version.

On nous a expliqué que ça ne ferait pas mal, mais qu'un duo de génycologues allaient me peser fort sur le ventre pour rejoindre le bébé, une pousserait sur sa tête l'autre sur ses fesses et elles tenteraient de le retourner. Il fallait que je me concentre le plus fort possible pour ne pas me contracter les muscles du ventre. Sois molle, que je me répétais! Elles ont finalement enduit mon ventre d'à peu près 2 litres de gel et ont procédé.

Premier essai: leurs mains glissent trop: elles l'échappent.

Deuxième essai: elles trouvent que tout va très bien, que le bébé est petit et qu'il a de la place pour bien touner, ce qui est rare pour un foetus de 38 semaines. Elles travaillent fort, forcent et nous disent que si nous étions venus à 36 semaines, la version aurait été si facile (Hé ho, à 36 semaines, Crevette avait la tête en bas!) Finalement, elles l'échappent de nouveau.

C'est à ce moment-là que ma gynéco me réexplique qu'il n'y aura que trois essais, car elles ne veulent pas trop stresser le bébé. Elle me dit aussi que veut, veut pas, mon ventre se contracte quand elles y plongent leurs mains, et que pour éliminier tout ça, elle suggère que je me fasse administrer une faible péridurale. Merde! Re-période de questionnements, re-larmes. C'est vrai que je ne voulais pas d'épidurale, mais j'ai aussi peur d'arriver à l'acouchement et de me dire que je n'ai pas tout fait pour que cette naissance se fasse convenablement. Après 45 minutes de discussion avec mon chum et de remises en questions, l'anesthésiste vient donc m'administrer le tout.

Troisième essai: Les deux gynécos semblent encouragées, tout va bien jusqu'à ce que l'infirmière leur mentionne qu'elle a perdu le coeur du bébé. Ma crevette ne fait plus de bruit. J'ai peur! Elles me lâchent. Elles retrouvent un petit pouls, 60 pulsations minute (contre les vigoureuses 144 habituelles). Les choses vont vite. L'infirmière appelle le bloc opératoire, on me met un masque (à gaz? à oxygène? Je ne le saurai jamais), on me transfère sur une autre civière et on m'emmène à la salle d'opération, je mentionne que je veux allaiter et que je ne veux pas qu'ils gavent mon enfant à la pouponnière, l'anesthésiste nous rejoint et Péha reste là, en plan et en larmes, pauvre lui! De mon côté, tout va tellement vite que je ne ressens plus rien.

Pendant qu'une des gynéco se prépare, l'autre cherche le coeur... et elle le trouve! Tendrement (oui, j'ai trouvé ce geste tendre et plein de compassion) elle approche le moniteur de mon oreille pour que je puisse entendre les 120 battements minute de mon enfant (120 c'est pas tout à fait le rythme voulu mais on y arrive). Tout le monde est finalement prêt, ma gynéco m'offre encore une fois de choisir: le pouls étant maintenant rétabli, on peut attendre, retourner à la maison et laisser la nature faire son oeuvre, mais si bébé ne se retourne pas, j'aurai droit à une chirurgie de toute façon; par contre, le cathéter étant installé l'épidurale déjà administrée, elle me suggère d'y aller avec la césarienne immédiate, surtout que c'est la fin de semaine de Pâques qui commence, qu'aucune des gynéco qui accouchent des sièges ne sera de garde (donc césarienne assurée) et que c'est au moment où il se revire que le coeur flanche sans qu'on sache pourquoi et que s'il se revire seul (ce que nature veut) il se peut que le coeur arrête et que je ne le sente pas. À boutte... j'abdique! J'ai l'impression que quoi qu'il advienne, je ne prendrai peut-être pas la bonne décision, que tout ça ne s'arrêtera jamais, que Crevette est réellement en danger... et je veux la prendre dans mes bras pour que tout ça cesse.

On m'administe plus d'anesthésiant, on commence l'opération et soudainement l'anesthésiste se demande où est le père. Ils avaient oublié mon Péha, en larmes, à l'extérieur de la salle d'opération, personne ne lui avait dit que le coeur battait désormais, il ne savait rien. Il entre finalement avec son bonnet, ses pantoufles et son masque, juste à temps pour me tenir la main. Je sens que ça tire, mais étonnamment je suis zen, possiblement parce que tout va trop vite. Finalement, ils sortent ma crevette, elle pleure imédiatement et dès cet instant je sais que désormais tout ira bien. Ne sachant pas le sexe, et Péha n'ayant pas vu les attributs de bébé, ils le soulèvent par dessus le draps qui m'empêche de me voir les entrailles et hop! apparaissent les couilles de fiston! C'est tout ce que j'ai vu. Quand Péha et bébé sont partis un peu plus loin pour son test Apgar, alors que les médecins me rafistolaient l'utérus, dans le cerveau me résonnait un nom... ce serait le sien! Péha est finalement venu me présenter mon fils, mais comme j'avais les bras attachés sur la table d'opération, je n'ai pas pu le prendre, je n'ai pu que lui administer un bisou sur le front. Ils sont rapidement partis avec un infirmier à la pouponnière. Le reste, je m'en fous un peu, mais on m'a recousue et agrafée (littéralement), transférée sur une autre civière et apportée en salle de réveil. Autour de moi, il y avait plein de monde qui bavaient (littéralement aussi), mais moi je flottais sur mon petit nuage. On me demandait de rester là pendant une heure. Ça faisait 39 semaines que Crevette et moi vivions en fusion et là je devais attendre que rien ne se passe en le sachant quatre étages plus haut. Je ne comprends pas pourquoi on ne laisse pas les mères et les bébés ensemble, malgré la césarienne (je me le demande toujours d'ailleurs). J'avais faim, mais ils ne pouvaient rien me donner. J'avais hâte et je m'ennuyais déjà de cette petite bête qui me tiraillait le ventre la veille encore.

Au bout d'une heure, Péha est finalement venu me chercher, on m'a montée à ma chambre, mon homme m'a apporté mon fils et près de deux heures après sa naissance, j'ai finalement pu faire connaissance avec ces beaux yeaux bleus. Je l'ai déshabillé, j'ai retiré ma jaquette et je l'ai collé, laissant sa petite bouche chercher mon sein, et je me suis émerveillée. Un an plus tard, j'aime toujours voir cette petite bouche s'ouvrir à la vue de mon sein. J'ai toujours autant cette sensation d'être ce qu'il y a de mieux pour mon fils.
Bien sûr je suis un peu amère quant à la façon dont les choses se sont passées. J'ai beaucoup de regrets, mais heureusment il y a Bobo en chair et en os pour me faire oublier que je n'ai pas connu les douleurs, les contractions, la perte des eaux, rien. Je n'aurai donc jamais accouché, du moins jamais jusqu'à la prochaine fois, mais je me console en me disant que j'aurai tout de même donné la vie. Le jour "C" est bien évidement pour "Césarienne", mais pour faire passer la pilule je me dis que c'est aussi le "C" de "Crevette".

C'était il y a 365 jours exactement, année bissextile oblige.

3 commentaires:

Élisou a dit...

Merci pour l'histoire (ta version) de la naissance de mini B,(que je n'attendais plus, me contentant du récit palpitant et si bien écrit de ton homme). Comme quoi dans la vie on ne peut rien contrôler de A à Z. Et comme quoi l'important est que tout se soit si bien terminé. Bon un an (déjà) à ta Crevette "Boriale"!!

Ysa_la_tite_mere a dit...

Ouf... J'ai du m'arrêter un peu en cours de lecture, la larme à l'oeil et l'utérus serré.
Merci de l'avoir écrite.
Et bon anniversaire à ton grand garçon.

a dit...

Merci pour les commentaires, ça me touche vraiment, surtout qu'ils proviennent de deux filles qui écrivent si bien.

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